Mawda
Autopsie d'un crime d'État

Manu Scordia

Auteurs :
Manu Scordia (Scénario et dessin)
Date :
06 mars 2024
Format :
176 pages - Couleur
16,5 x 24.0 cm
ISBN :
9782849534908
Prix :
22,00 €

Mawda
Autopsie d'un crime d'État

Manu Scordia

Interview

Avec Mawda, Manu Scordia nous plonge au coeur d’un fait divers horrible qui a secoué toute la Belgique : la mort d’une jeune migrante de 2 ans, tuée par un policier. Mais ce drame – et le déni de justice qui s’en est suivi – aurait tout aussi bien pu se dérouler en France…


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Peux-tu te présenter en quelques mots ?


Je suis auteur de bande dessinée et illustrateur. Le dessin a toujours été une manière pour moi de mettre en lumière des réalités qui me touchent et d’exprimer ma façon de voir les choses. J’ai réalisé la bande dessinée Ali Aarrass (parue en 2019 chez Vide Cocagne) qui raconte l’histoire vraie d’un citoyen belgo-marocain accusé à tort d’activités terroristes, torturé et incarcéré au Maroc pendant douze ans. Plus récemment, j’ai réalisé la bande dessinée Le rouleau compresseur (2023), un recueil de sept témoignages sur le caractère structurel et systémique du racisme. Par ailleurs, depuis 2016, je contribue avec le collectif Krasnyi à la série d’exposition Never Forget qui revient sur des épisodes majeurs de l’histoire des luttes sociales. Je travaille également comme animateur dans une association pour les enfants du quartier à Cuesmes dans le Borinage. 


Pourquoi t’es-tu intéressé à cette tragédie ? Quel est ton espoir en publiant un tel livre ?


J’ai appris le drame comme tout le monde par la presse, le lendemain. J’ai été rapidement frappé par le nombre de réactions sur les réseaux sociaux ou dans les commentaires d’articles de journaux, insultants et dénigrants à l’encontre des parents de Mawda, banalisant sa mort ou allant même jusqu’à s’en réjouir. Plus tard, j’ai appris (notamment grâce à la contre-enquête du journaliste Michel Bouffioux, abondamment citée dans le livre) combien les premières versions sur le décès de Mawda diffusées dans la presse avaient été tronquées et avaient joué un rôle dans la (mé)compréhension de cette affaire par l’opinion publique. Tout cela a suscité chez moi l’envie de rétablir la vérité des faits à travers cette bande dessinée. C’était en quelque sorte une volonté de rendre justice à Mawda et à ses parents.


Le décès de Mawda puis le jugement ont-ils eu un impact
majeur dans les médias belges ?


Pas assez à mon goût. La mort de Mawda a bien entendu été médiatisée (il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la façon très orientée dont elle l’a été) mais pas traitée avec l’importance qu’elle aurait mérité, au regard de la gravité des faits. À titre comparatif, l’affaire des enfants disparus (l’affaire Dutroux, en 1996) avait suscité un émoi national et fait sortir des centaines de milliers de personnes dans la rue. Dans le cas de « l’affaire Mawda », sa tragédie est très vite retombée dans l’oubli (au-delà des cercles militants). Elle a connu un regain d’attention au moment du procès, dû en partie à la mobilisation citoyenne. Des personnalités publiques ont exprimé leur soutien, comme Angela Davis, Ken Loach ou encore Roger Waters de Pink Floyd.




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Comment as-tu fait pour approcher les parents de Mawda ?Quel regard ont-ils portés sur ton travail ?


Je suis entré en contact avec eux par l’intermédiaire de leur avocate, Selma Benkhelifa, que je connaissais par ailleurs. On s’est ensuite rencontrés de nouveau lors des mobilisations citoyennes autour du procès. Ils ont accueilli le projet positivement. Ils ont été touchés par la solidarité citoyenne qui les a entourés, par toutes ces personnes qui ont voulu les soutenir d’une manière ou d’une autre. Il y a aussi eu une pièce de théâtre qui raconte leur histoire : Mawda, ça veut dire tendresse de Marie-Aurore d’Awans. Aujourd’hui, leur petit garçon a presque 10 ans et ils ont un autre enfant, né après le drame. Ils voudraient pouvoir tourner la page et aller de l’avant.


Les situations belges et françaises te paraissent-elles comparables en termes de comportement de la police et/ ou de relative impunité d’auteurs de coup de feu ?


Oui. Le cas récent du jeune Nahel le montre bien. Un policier tire à bout portant sur un adolescent et se retrouve millionnaire. Il a été remis en liberté au bout de quelques mois. Si on passe en revue les différents cas de personnes tuées par la police, on constate quasi systématiquement les mêmes mécanismes, que ce soit en Belgique ou en France : versions policières visant à dédouaner l’auteur du crime abondamment relayées dans les médias, versions des proches de la victime mises en doute et beaucoup moins relayées ; propagation d’une image négative de la victime, de façon à rendre son décès «moins grave». Ainsi, Nahel aurait eu un casier judiciaire «long comme le bras», les parents de Mawda auraient été «irresponsables», Adil «n’avait rien à faire là», Amine Bentounsi était «connu des services de police», etc. ; criminalisation de la famille des victimes qui se retrouvent bien souvent l’objet de poursuites judiciaires, parfois pour des futilités – il en a été ainsi par exemple pour la famille de Lamine Bangoura, étouffé par des policiers, qui a été condamnée à verser des dédommagement aux meurtriers de leur enfant ; impunité du ou des policiers impliqués puisque dans l’écrasante majorité des cas, la justice acquitte le ou les policiers impliqués ; le combat des familles de victimes pour la justice et la vérité est un combat extrêmement éprouvant face à un appareil judiciaire et policier puissant et terriblement hostile.