Sortir de l'ombre
Une histoire de sororité en prison

Muriel Douru

Auteurs :
Muriel Douru (Scénario et dessin)
Date :
18 sept. 2024
Format :
144 pages - Couleur
19.0 x 26,5 cm
ISBN :
9782849535103
Prix :
24,00 €

Sortir de l'ombre
Une histoire de sororité en prison

Muriel Douru

Interview

Cinq ans après nous avoir donné à comprendre les itinéraires de vie des travailleuses du sexe, Muriel Douru nous emmène à la rencontre d'autres femmes marginalisées : les détenues. Avec la même démarche de terrain – aller à la rencontre des personnes concernées – et la même ONG partenaire – Médecins du Monde.


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Muriel, quelle est l’origine de ce projet ?


En 2018, des femmes engagées au sein de Médecins du Monde m’ont proposé de réaliser une enquête sur les travailleuses du sexe car elles pensaient que l’outil « roman graphique » serait pertinent pour communiquer, auprès du public, sur le vécu des personnes concernées. Ce projet est devenu le livre Putain de vies !  publié à La Boîte à Bulles en 2019. Comme notre collaboration a été harmonieuse, l’ONG est revenue vers moi pour me proposer de mener une nouvelle enquête, cette fois sur les femmes en prison. L’idée, c’était de témoigner d’un projet original, mené par Médecins du Monde au sein d’une maison d’arrêt, afin de faire connaître les résultats positifs de cette expérimentation. Ce projet collectif est, en effet, unique en France et a pour but de redonner de l’indépendance aux détenues dans un système qui les broie et les infantilise énormément.


Comment as-tu procédé pour te documenter sur le vécu des femmes en prison ?


Je les ai rencontrées et écoutées ! Grâce à Médecins du Monde et à une responsable du système pénitencier enthousiaste, j’ai pu me rendre durant plusieurs mois dans une maison d’arrêt de femmes, ce qui est une chance car j’avais, chaque fois, la sensation d’entrer dans un autre monde, un monde inconnu des gens du dehors. J’avais des rendez-vous privilégiés avec des détenues et des surveillantes volontaires pour me rencontrer et me parler, et j’ai également assisté, plusieurs fois, à des réunions du collectif. 
J’ai été installée dans une cellule vide pour faire des croquis des lieux, et comme j’avais obtenu le droit de rentrer dans la prison avec ma tablette, alors que c’est normalement interdit, j’ai pu enregistrer tous les échanges avant de les réécouter pour les utiliser comme base scénaristique.


Qu’est-ce qui t’a le plus marqué lors de tes entretiens avec ces femmes ?


Le fait que ces femmes soient « comme tout le monde ». Dans un travail journalistique, il est important d’arriver à être la plus neutre possible face aux personnes pour les écouter sans jugement ni apriori. Je crois qu’il est difficile d’être totalement déconstruit.e et en ce qui concerne la prison, y a un peu l’idée que la société est divisée en deux : les « bonnes personnes » qui seraient dehors et les « mauvaises gens » qui seraient dedans or, bien sûr, c’est loin d’être aussi simple et les personnes que j’ai rencontrées étaient toutes, elles aussi, des victimes, que ce soit d’un accident de la vie ou d’un environnement nocif.


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Pour Putain de vies, tu avais choisi de transmettre les témoignages tels quels, ici tu as créé une fiction. Pourquoi ce choix ?


C’est vrai que je suis rarement dans la fiction et que la matière de mes livres, c’est toujours le réel.
Mais dans ce projet, je ne pouvais pas parler des personnes directement parce que certaines ne sont pas encore jugées, parce que d’autres ont fait appel, et puis il fallait aussi respecter les victimes des actes, plus ou moins graves, qu’elles ont commis, la justice qui veille au respect de ses décisions ainsi que le système pénitentiaire qui est connu pour être un peu opaque. De toute façon, ce n’est pas « leurs fautes » qui composent la trame narrative du livre, mais le projet collectif de Médecins du Monde. J’avais donc besoin de scénariser pour en restituer la genèse, l’historique et les différents impacts sur les détenues.


Quel message, quelle impression souhaiterais-tu laisser au lecteur à l’issue de cette lecture ?


L’idée que, ce que je disais plus haut (« les gentils sont dehors et les méchants sont dedans ») est fausse, et que, comme me le disaient plusieurs surveillantes, l’accident de vie peut tomber sur chacun d’entre nous. Également faire passer le message que la prison est un impensé de notre société parce que c’est une zone étanche, loin de nos regards, qui en rassure certains alors que je suis désormais convaincue que ça ne sert absolument à rien d’enfermer quelqu’un, si on ne lui donne pas de perspectives et un minimum d'autonomie. Surtout si le but de cet enfermement, c’est d’en faire quelqu’un « de meilleur » à sa sortie.


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Tu sembles savoir mettre en confiance des femmes pour qu’elles se confient… Tu as une approche particulière ? Recueillir ces paroles te donne des obligations vis-à-vis de ces personnes ?


Quand je suis face aux personnes, je les écoute avec beaucoup d’attention, sans jugement et comme je suis sensible, je suis vite émue et emportée par leurs récits. Je suppose qu’elles voient ma sincérité et que c’est ce qui me permet d’avoir leur confiance ?
Quant à l’obligation morale, elle est bien sûr immense ! Ces personnes me livrent leurs récits de vies, leurs confidences et rien que pour ça, j’ai un immense respect pour elles. Même si ce sont des femmes qui, comme ici, ont commis des actes graves et répréhensibles.